La dénonciation de la guerre

Publié le par Violaine Le Calvé

PLAN DETAILLE DE COMMENTAIRE DE L’EXTRAIT DU CHAPITRE III DE CANDIDE

 

 

Repères

 

Les allusions à l’histoire contemporaine : pour trouver l’illustration la plus efficace des démentis apportés à l’optimisme et la manifestation la plus courante du mal, Voltaire n’a pas eu à chercher bien loin. De 1756 à 1763, la guerre de Sept ans fait rage en Europe, avec son cortège d’horreurs. Les enrôlements forcés entraînent d’innombrables désertions, punies de châtiments corporels dont le chapitre II se fait l’écho. Les massacres de populations civiles sont fréquents. Le chapitre III pouvait ainsi apparaître aux lecteurs de l’époque comme en étroite liaison avec la réalité historique et politique, elle-même complétée par l’expérience du voyage de Voltaire en Prusse en 1750-1752.

 

La dénonciation de l’optimisme ne peut se faire de manière efficace qu’à la lumière d’une réalité contemporaine dont l’horreur ne fait aucun doute.

 

*

 

 

Présentation du texte :

 

Après son expulsion du « paradis », le premier malheur de Candide, ayant été de se faire enrôler de force, il semblait inévitable qu’il ait à expérimenter la guerre. C’est pour Voltaire l’occasion de concilier les impératifs logiques du conte (une succession d’épisodes auxquels est mêlé le jeune héros) et les objectifs philosophiques (montrer que rien n’est « pour le mieux »). Le chapitre III fait donc de Candide le « héros » malgré lui d’un épisode de la guerre entre les Abares et les Bulgares. Ce choix permet à Voltaire, à travers une double vision, faussement élogieuse d’abord, puis réaliste, de dénoncer une pratique qu’il a déjà violemment stigmatisée dans Micromégas et qu’il dénoncera encore dans son Dictionnaire philosophique.

 

La dénonciation se fait essentiellement à travers deux procédés : le spectacle des armées rangées, puis en action est l’occasion d’un tableau esthétique où la violence se trouve valorisée également par un curieux effet de comptabilité arithmétique. Ensuite, l’envers du tableau donne la réalité de la guerre et le sort des populations civiles : de l’ordre et de l’esthétique, on passe au désordre et à l’horreur. Ainsi se trouve mise en relief l’opposition, qui parcourt le conte, entre la vision philosophique (celle que Pangloss a transmise à Candide) et la vision réaliste (celle que Candide découvre seul), qui apporte un dément flagrant à la première.

 

Problématique :

 

On pourra montrer comment les jeux d’oppositions et de points de vue permettent à Voltaire de rendre sa critique de la guerre particulièrement efficace.

 

 

 

I)                   LA VALORISATION DE LA GUERRE :

 

UNE VISION ESTHETIQUE ET « PHILOSOPHIQUE »

 

Le texte s’ouvre sur une vision esthétique, celle des armées rangées en ligne de bataille. L’accent est mis sur l’aspect héroïque et sur une vision « philosophique » qui permet la justification de la « boucherie ».

 

a)      L’aspect esthétique :

 

        Les termes valorisants : quatre adjectifs élogieux intensifiés par « si » (l.1), allant de la beauté à l’ordre, en passant par l’élégance et la lumière. Il s’agit d’un véritable spectacle, d’un tableau.

 

        L’insistance sur l‘harmonie : énumération de quatre instruments de musique (l.2-3), utilisation du terme « harmonie ». Il s’agit ici d’un véritable concert.

 

b)      Un massacre justifié :

 

        Moralement et socialement : le choix du terme « coquins » (l.7) et du verbe « infectaient » présente les victimes comme des « mauvais » dont la disparition est une bonne chose.

 

        Philosophiquement : l’expression « la raison suffisante » (l.8) qui appartient au vocabulaire de Pangloss, fait entrer la guerre dans un système où l’on retrouve les causes et les effets. Cela peut suffire pour que la mort trouve aussitôt sa justification.

 

c)      Une logique comptable : énumération de chiffres s’intégrant peu à peu dans un total donné à la fin (l.9), sans aucune émotion particulière (« six mille hommes de chaque côté », « dix mille », « quelques milliers » => « une trentaine de mille âmes »). Tout se passe comme si l’importance des chiffres pouvait à elle seule souligner un succès, une victoire et valoriser ainsi la guerre à travers des communiqués triomphants faisant état du plus grand nombre de morts possible.

 

 

 

II)                IMAGES DE LA « BOUCHERIE »

 

L’éloignement volontaire du glorieux champ de bataille conduit Candide à l’arrière, où il découvre les effets de la « boucherie héroïque » sur les populations civiles. La dénonciation prend la forme d’une vision réaliste de l’horreur.

 

a)      L’innocence des victimes :

 

Ceux sur lesquels on s’est acharnés sont les plus fragiles ; ce ne sont pas les hommes en pleine santé mais, dans l’ordre, les « vieillards », les « femmes », les « enfants » et les jeunes « filles ». On peut noter qu’ensuite les corps en morceaux retombent dans l’anonymat.

 

b)      La violence et l’horreur de la guerre :

 

        Le champ lexical de la violence est très étendu et diversifié, il englobe les actions meurtrières et leur résultat, sous une forme répétitive et réaliste : « morts », « mourants » (l.15), « brûlé », « criblés », « égorgés », « éventrées », « à demi brûlées » (on note l’assonance en « é » qui entraîne un effet de rime interne et crée une reprise obsessionnelle qui attire l’attention sur la nature du mot et sur son sens : les participes passés soulignent les actions subies).

 

        Ce champ lexical comporte également toutes sortes de détails anatomiques horribles : « mamelles sanglantes » (l.9), « cervelles », « bras et jambes coupés » (l.23-24), « membres palpitants » (l.27-28). L’horreur vient enfin de la situation de souffrance insupportable de ceux qui sont encore vivants (l.21-22).

 

c)      La réciprocité d’action :

 

Il faut enfin noter la quasi-impossibilité d’échapper au massacre de quelque bord que soient les populations civiles. La double précision « c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé » (l. 16-17) et « il appartenait à des Bulgares et des héros abares l’avaient traité de même » rappelle que les deux armées en présence ont des comportements similaires.

 

 

 

III)             L’EFFICACITE DE LA DENONCIATION

 

Le réalisme du tableau des horreurs des conflits suffirait à rendre la guerre insupportable et condamnable. Voltaire a pourtant utilisé d’autres moyens, qui sont la double vision et l’ironie, d’ailleurs liées. En attirant l’attention sur des effets de décalage, essentiellement révélés par le langage, il souligne les anomalies qui apportent une inacceptable justification de la guerre.

 

a)      Une apparence de légitimité esthétique :

 

Elle est donnée par le côté esthétique de la guerre qui en fait un spectacle. On trouve dans le texte un champ lexical du spectacle qui rappelle une certaine conception théâtrale de la guerre : insistance sur la beauté (l.1), sur l’harmonie musicale (l.2), utilisation du terme « héroïque » (l.11) repris dans l’expression « des héros abares » (l.26), allusion au « théâtre » de la guerre (l.28). Le choix de ces différents termes et le rapprochement établi avec l’horreur font coexister deux visions inconciliables de la guerre, résumé dans l’oxymore « boucherie héroïque ».

 

b)      Une justification légale et religieuse :

 

Le côté inacceptable et révoltant de la guerre est souligné par les allusions à un « droit » de la guerre et par les références religieuses. Il y a en effet quelque chose de profondément inacceptable à considérer que la guerre trouve une justification dans une religion qui est probablement la même dans le deux camps (allusions aux Te Deum d’action de grâces, l.12-13).

 

c)      Les phénomènes de distorsion :

 

Comme dans le chapitre I, Voltaire place dans le texte, ici et là, des indices qui attirent le lecteur et le préviennent qu’il ne faut pas prendre les choses « au pied de la lettre ». Ainsi, on voit se glisser dans l’énumération des instruments de musique les « canons », qui viennent rappeler la réalité de la guerre. La chute de la deuxième phrase « telle qu’il n’y en eut jamais en enfer » joue exactement le même rôle. On peut remarquer également l’utilisation de périphrases qui évitent d’évoquer certaines réalités : « ôta du meilleur des mondes » signifie « massacra », « raisonner ailleurs des effets et des causes » veut dire simplement « déserter »).

 

Si la première vision de la guerre est celle, idéalisée et « philosophique », de Candide, Voltaire rappelle ainsi à plusieurs reprises qu’il n’y souscrit pas.

 

 

*

 

Conclusion

 

Le chapitre III de Candide est un passage du conte qui peut se lire de trois façons différentes : dans la perspective strictement narrative des aventures de Candide, il constitue un épisode douloureux qui confronte le héros au problème de la guerre. Dans la perspective de la démonstration philosophique menée par Voltaire, il se révèle comme l’apparition du mal à l’état pur. Enfin, dans une perspective plus large, il témoigne du souci de Voltaire de combattre toutes les formes d’intolérance et d’atteinte aux droits de l’homme. Ce chapitre est à ces trois titres un texte essentiel de la philosophie des Lumières.

 

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