Incipit de Candide

Publié le par Violaine Le Calvé

LECTURE ANALYTIQUE DU CHAPITRE I DE CANDIDE

Vous devez d'abord relire attentivement le début de Candide (l.1 jusqu'à l.51 "et par conséquent de toute la terre") puis répondre aux questions suivantes:

1. Le conte. Répertorier dans ce chapitre tous les éléments qui, sur le plan des personnages, des situations et de la manière de raconter appartiennent traditionnellement au conte.

2. Le détournement. Comment Voltaire détourne-t-il ces éléments? Etudier en particulier l'utilisation constante de la dérision et de l'ironie. Quel est l'objectif du conteur?

3. Le thème philosophique. Analyser le raisonnement de Pangloss (l. 32 à 43 -ce qui est entre guillemets ) et montrer l'application que Candide en fait dans le récit qui suit (des l. 44 à 51).

Voc.

Palefrenier : personne chargée du soin des chevaux.

Hobereau (péjoratif) : gentilhomme campagnard de petite noblesse, qui vit sur ses terres.

 

LECTURE ANALYTIQUE DE L’INCIPIT DE CANDIDE

 

 

Le chapitre I de Candide joue un rôle d’exposition. L’incipit du conte a pour fonction de présenter un contexte et des personnages et de mettre « en route » l’histoire. Cela se fait d’une manière tout à fait traditionnelle, en petits paragraphes successifs qui mettent en scène les protagonistes. Chacun est caractérisé par une spécialité et par une situation familiale ou sociale. Dans la présentation qui est faite des personnages et des lieux, tout semble aller pour le mieux. Pourtant, le lecteur attentif note quelques « grincements » un peu inquiétants. Voilà que se révèlent quelques distorsions, indices qui lui laissent penser qu’il ne doit peut-être pas prendre tout au premier degré.

 

Que cherche à faire Voltaire ? Pourquoi cet accent mis sur le décalage entre l’apparence et la réalité ? Dès le début du conte, la perspective philosophique et critique apparaît et il convient d’analyser la manière dont elle se met en place.

 

La lecture méthodique de l’extrait s’attachera à étudier la manière dont se fait la présentation des personnages, puis les caractéristiques du conte et enfin les indices qui, par l’ironie, attirent l’attention sur les intentions du narrateur.

 

*          *          *

 

 

I)                   UN CHAPITRE D’EXPOSITION : LA PRESENTATION DES PERSONNAGES

 

Les personnages sont présentés successivement selon un ordre d’entrée en en scène : Candide, le baron, la baronne, Cunégonde, le fils du baron et Pangloss. L’organisation et la longueur des paragraphes suggèrent que le narrateur accorde une place privilégiée au premier et au dernier de ces personnages.

 

a) Candide : il constitue l’élément important du premier paragraphe et le narrateur met l’accent sur la correspondance qui existe entre son aspect extérieur (« physionomie », l.3), son caractère (« les mœurs les plus douces », l.3), ses qualités intellectuelles (« jugement assez droit », « esprit le plus simple », l.4-5) et le choix de son nom. L’ambiguïté de certains termes (« simple ») suggère à la fois la modestie et la naïveté. La suite du paragraphe est consacré aux origines généalogiques de Candide, qui font de lui un enfant naturel (on peut noter encore la polysémie du terme), ce qui est une situation intéressante sur le plan romanesque.

 

b) Le baron : sa présentation se fait en petites étapes successives (on note la succession de phrases brèves) faisant le tour de sa situation et de ses biens. La présentation insiste sur le pouvoir (« un des plus puissants », l.12) et sur des signes extérieurs de richesse (« tapisserie », « meute », « piqueurs », « grand aumônier », « monseigneur », l.14-17). Les apparences sont celles de la richesse et de la puissance, faisant du baron, dans son domaine, le personnage le plus important.

 

c) La baronne : la première image qui est donnée d’elle concerne son « volume » (« trois cent cinquante livres, l.19). Elle apparaît ensuite comme une excellente maîtresse de maison, digne en tout point de considération (on note l’insistance sur la considération et le respect, l.20-22).

 

d) Cunégonde : présentée comme la fille de la maison, Cunégonde est caractérisée par trois adjectifs : « fraîche, grasse, appétissante » (l.23). Elle semble ici n’avoir aucun rôle important sinon celui de représenter les tentations de la sensualité.

 

e) le fils du baron : en une ligne, il est présenté comme le double de son père et n’a donc apparemment aucune existence personnelle, aucun caractère propre.

 

f) Pangloss : le précepteur arrive en dernier et il est longuement présenté de manière élogieuse. Le ton est tout à fait admiratif : Pangloss est assimilé à un « oracle » et ce qu’il fait est admirable (« Il prouvait admirablement », l. 28). La présentation se fait à travers l’énoncé d’un discours de Pangloss, qui est la mise en œuvre de sa manière de raisonner (« Il est démontré, disait-il », l.22) à travers l’explication des relations de cause à effet entre différents éléments.

 

Cette présentation, qui permet au lecteur de savoir quels sont les différents personnages, permet aussi d’attirer l’attention sur un contexte qui, par bien des côtés, s’apparente à celui du conte.

 

 

II)                LES ELEMENTS TRADITIONNELS DU CONTE

 

L’univers présenté dans le chapitre I de Candide offre l’image d’un microcosme protégé où tout est pour le mieux, dans une sorte de merveilleux que rendent le ton élogieux, les superlatifs, les hyperboles et les images valorisées.

 

a) Les formules traditionnelles : l’ouverture du conte par la formule « Il y avait » est naturellement un emprunt aux contes merveilleux qui mettent en scène des personnages dans des lieux peu précis, à une époque qui relève plutôt de l’intemporalité. Il n’y a ici aucune précision concernant le moment. Quant aux lieux, l’indication de la Westphalie place l’histoire dans un pays peu connu et de fait un peu mystérieux. Le nom du château, aux sonorités gutturales et rudes, relève de l’imagination. On ne se situe pas dans l’Histoire mais dans un monde qui n’existe pas réellement.

 

b) Milieu et personnages traditionnels : le conte merveilleux se situe dans un contexte où l’on retrouve l’alliance du pouvoir et des richesses, ainsi qu’une certaine rigidité dans les codifications sociales. C’est sur cet ensemble d’éléments que Voltaire construit Candide. Il met en effet en scène une famille aristocratique dans laquelle chacun est beau, bon, riche et puissant. La récurrence des caractérisations valorisantes et des termes élogieux attire l’attention sur ce monde merveilleux où tout va bien. On note les nombreux superlatifs et comparatifs (« les plus douces », l.3 ; « le plus simple », l.4-5 ; « un des plus puissants », l.12 ; « très grande considération », l.20 ; « encore plus respectable », l.21-22), l’insistance sur les qualités des individus et sur les images d’un bonheur que rien ne vient troubler (« droit », « simple », « bon et honnête gentilhomme », l.4-8 ; « ils riaient », l.18).

 

L’image générale donnée par la présentation pourrait être résumée par la démonstration de Pangloss : « le château de Monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et Madame la meilleure des baronnes possibles ». Et l’on pourrait même ajouter que le meilleur enseignement philosophique était dispensé au jeune Candide par le meilleur philosophe du monde.

 

 

Le lecteur, entraîné dans un univers merveilleux et peut-être séduit, reçoit l’image de Thunder-ten-tronckh comme celle d’un véritable paradis. Pourtant, il lui est difficile de ne pas percevoir, de temps en temps, quelques éléments inattendus qui viennent provoquer un effet de distorsion dans l’harmonie générale.

 

 

III)             LES EFFETS DE DECALAGE QUI ATTIRENT L’ATTENTION DU LECTEUR

 

Les « grincements que perçoit le lecteur viennent essentiellement d’une dysharmonie qui trouble quelque peu l’euphorie générale. Ces effets sont rendus par des rapprochements inattendus et par des raisonnements en apparence logiques, en réalité absurdes. Ce sont eux qui créent la tonalité ironique du chapitre.

 

a) Les rapprochements faussement logiques : le narrateur établit une relation de cause à effet entre la puissance du baron et une caractéristique de son château (« car son château avait une porte et des fenêtres », l.13) alors qu’il n’y a strictement aucun rapport logique entre les deux. Le même type de raisonnement est appliqué à la baronne (relation de cause à effet entre son poids et la considération dont elle jouit). Ce effets de (fausse) logique soulignent que le pouvoir et la considération relèvent de l’illusion et non d’une réalité justifiable autrement que par des préjugés et des croyances.

 

b) La confusion des plans : la présentation du baron, dont la puissance est rendue contestable par ce à quoi elle semble due, fait apparaître quelques confusions inquiétantes : par le jeu des rapprochements de termes, le narrateur souligne avec une certaine malice que chez le baron, en réalité, tout est faux. On peut établir ici les rapprochements : « les chiens de ses basses-cours »/  « meute » (l.15), « palefreniers »/  « piqueurs » (l.16) et « vicaire du village »/ « grand aumônier » (l.16-17). Ceux-ci soulignent la confusion entre la réalité et l’apparence. A la simplicité se substitue la grandeur qui fait du baron, en apparence, un aristocrate fortuné alors qu’il n’est qu’un petit hobereau de province.

 

c) Les absurdités du raisonnement de Pangloss : elles se révèlent essentiellement dans l’exposé qui est fait au lecteur de ses théories philosophiques, présentées pompeusement comme une science très savante (la « métaphysico-théologo-cosmolo-nigolo-gie », l.27). Chaque exemple repose sur une démonstration logique, structurée par les liens qui soulignent les causes et les effets. Or, à chaque fois, il n’y a en réalité aucune relation logique entre les deux éléments mis en cause. Ainsi pour la fonction du nez et la fait d’avoir des lunettes : à aucun moment il n’est fait allusion à l’idée que le nez pourrait servir exclusivement à respirer et les lunettes à améliorer la vue ! Pangloss raisonne constamment de manière incohérente ; il n’y a donc aucune raison de considérer comme acceptable la conclusion à laquelle il parvient : « tout est au mieux ».

 

Les « grincements » qui, tout au long du chapitre I, attirent l’attention du lecteur sur des anomalies, sont ainsi mis en place pour souligner que le monde mis en scène est un monde d’illusions : illusion du pouvoir, illusion de la richesse et du rang social, illusion surtout de la connaissance et du raisonnement, qui fonctionne à vide.

 

 

*          *          *

 

 

            L’illusion vient aussi de l’absence totale de références : Candide, dans sa naïveté, ne connaît que ce qui l’entoure, ce qui explique que tout soit perçu de manière élogieuse et superlative, y compris l’enseignement de Pangloss. Voltaire met en place dans le premier chapitre de Candide un monde complètement fermé fonctionnant sur un système de valeurs complètement faux.

 

 La plaisante hiérarchie des bonheurs que récite Candide à la fin de l’extrait est une illustration de ce système fermé qui fait de Pangloss le plus grand philosophe « de toute la terre », simplement parce qu’il est « le plus grand philosophe de la province ». Il conviendra donc de faire sortir Candide du paradis des illusions pour qu’il puisse mettre à l’épreuve l’enseignement de son maître en le confrontant à l’expérience du monde.

 

 

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W
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />    Pour ceux que cela intéresse, j'ai créé un site qui résume Candide de Voltaire, chapitre par chapitre avec à chaque fois des citations.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />    N'hésitez pas à faire un tour : http://www.candide-voltaire.com<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Belle journée,<br />
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W
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />    Pour ceux que cela intéresse, j'ai créé un site qui résume Candide de Voltaire, chapitre par chapitre avec à chaque fois des citations.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />    N'hésitez pas à faire un tour : http://www.candide-voltaire.com<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Belle journée,<br />
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J
<br /> <br /> Pas mal du tout, une étude vraiment détaillée, c'est assez rare de trouver ça. Si vous cherchez une étude du livre, je vous conseille ce résumé de Candide chapitre par chapitre, sur Oodoc.<br /> Si vous voulez d'autres documents sur Candide (des résumés, des commentaires composés etc.), envoyez-moi un email, j'ai pas mal de documents pour vous aider dans vos révisions.<br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> Merci pour cette analyse. Cependant je voudrais savoir si l'incipit est egal a la situation initiale.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
merci énormément. ce que vous faite est vraiment génial, ça aide beaucoup d' avoir des commentaires complets et gratuits. continuez!!!!et aprés certains ose prétendent que les professeurs sont tous les mêmes. nous, nous avons des lectures analytique de 30 lignes complétement abérantes..merci encore!!
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